Déclaration
Considérant que l’Humanité traverse une période critique de son histoire;
Considérant que les changements climatiques, la détérioration de l’environnement et la perte de biodiversité résultent de l’activité humaine et menacent ultimement la survie de l’Humanité (1-4);
Considérant que ces changements environnementaux ont déjà des effets néfastes sur la santé, la sécurité, la qualité de vie et les perspectives d’avenir des populations (5-9);
Considérant la persistance des paradigmes sociétaux qui amplifient ces menaces;
Considérant l’importance pour une société et les personnes qui la composent de disposer d’une information de qualité, pertinente et vérifiable, ainsi que d’un traitement juste, honnête et objectif de cette information;
Considérant que les dernières avancées et les consensus scientifiques sur les questions climatiques, environnementales et de biodiversité ne sont pas suffisamment véhiculés auprès de la population ni endossés par nos dirigeants politiques;
Considérant que la science et les connaissances scientifiques n’ont pas suffisamment de poids dans les orientations et décisions prises par nos gouvernements, tant au niveau municipal, provincial que fédéral;
Considérant le manque de leadership et d’engagements concrets de nos gouvernements face à ces menaces, et l’insuffisance des mesures mises en place;
Considérant que ces lacunes sont associées à une faible éducation, conscientisation et une mobilisation insuffisante de la population face à ces menaces, qui compromettent l’essentielle transformation de notre société;
Considérant que nous devons assumer les responsabilités qui nous incombent et prendre les moyens nécessaires pour atténuer l’ampleur de ces menaces;
Considérant que nous toutes et tous, ici et ailleurs sur la planète, en particulier les jeunes et les prochaines générations, devrons vivre avec les conséquences de nos choix et de notre inaction;
Considérant que nous avons la conscience, l’éducation et la formation nécessaires pour bien comprendre, non seulement le message véhiculé par nos collègues scientifiques et rapporté par l’Organisation des Nations Unies (ONU), mais également l’importance et l’urgence d’agir;
Nous, membres du Regroupement Des Universitaires, nous mobilisons pour lutter contre les changements climatiques et pour préserver l’environnement et la biodiversité : nous préconisons une transformation sociétale rapide et d’envergure, et ce, dans le but d’amenuiser les impacts de l’activité humaine sur le climat, l’environnement et la biodiversité, et ainsi garantir la santé, la sécurité, la qualité de vie et l’avenir des populations.
Nous désirons offrir un juste retour aux investissements importants consacrés à la recherche pour l’acquisition des connaissances scientifiques consentis à même les taxes et impôts que les contribuables versent aux gouvernements.
Nous estimons également qu’il est de notre devoir d’assumer le rôle social, voire le leadership, que la société est en droit de s’attendre de notre part.
Le Regroupement Des Universitaires se donne ainsi pour objectifs de :
- donner davantage la parole aux scientifiques et faire plus de place à la science dans le débat public, en favorisant notamment une approche inclusive et interdisciplinaire;
- mieux informer la population en diffusant, en rendant accessibles et en interprétant les résultats de la recherche scientifique qui concernent les enjeux climatiques, environnementaux et de la biodiversité;
- amener l’ensemble de la population à prendre conscience qu’une société fondée sur une croissance économique illimitée et basée sur la dilapidation de ressources naturelles qui existent en quantité finie, est insoutenable;
- sensibiliser l’ensemble de la population au fait que les différentes facettes de notre mode de vie actuel, par exemple l’alimentation carnée industrialisée, la dépendance à la voiture et la surconsommation, sont insoutenables;
- émettre des avis et des recommandations, basés sur les connaissances scientifiques, visant à améliorer la santé, la sécurité, la qualité de vie et les perspectives d’avenir des populations;
- s’assurer que les connaissances et le savoir occupent une place prépondérante au sein de notre société, et en permettent la transformation judicieuse et pérenne;
- mettre de l’avant les solutions qui existent déjà pour améliorer la soutenabilité de notre société;
- sensibiliser les chef.fe.s d’entreprises, les décideurs/ses et les politicien.ne.s à l’importance, voire l’urgence, d’implanter les solutions qui existent déjà, et d’en développer de nouvelles, afin de rendre soutenables nos modes de production, de consommation, de transport et de vie;
- développer et soutenir une éducation à de meilleures pratiques individuelles et collectives;
- renforcer le tissu social en favorisant les prises de conscience, les discussions et l’écoute;
- développer l’empathie, l’entraide, la collaboration et l’environnement socioéconomique nécessaires à une transition respectueuse, inclusive et soucieuse de justice sociale;
- contribuer à l’éducation de nos jeunes sur ces enjeux qui les concernent directement.
Principes
Le Regroupement Des Universitaires rappelle que :
Les sociétés ont accédé à une taille, un niveau technique et un degré d’activité qui épuisent progressivement les ressources, font disparaître ou détériorent les écosystèmes, et polluent l’air, les océans, les rivières et les sols (10-14). Nous modifions ainsi la composition chimique de l’atmosphère, les propriétés physicochimiques des océans et le climat, faisons disparaître une multitude d’espèces vivantes, dégradons les écosystèmes et appauvrissons les sols. Progressivement, nous détruisons le capital naturel, compromettant ultimement le fonctionnement de la biosphère, le bien-être humain et la vie (12,14-17).
L’activité humaine est devenue le facteur principal qui détermine les conditions biogéochimiques et biogéophysiques régnant sur Terre. Les observations scientifiques montrent que la planète est entrée dans une nouvelle période géologique – l’Anthropocène – dans laquelle les sociétés humaines transforment à grande échelle et de plus en plus rapidement les écosystèmes dont elles dépendent (18-20). Notre civilisation, telle qu’elle fonctionne actuellement, n’est pas soutenable, entraînant le système Terre vers un état nouveau qui menace les conditions mêmes de la vie sur Terre (21-23).
Cette situation est le résultat d’une société techno-industrielle hyperproductive, surconsommatrice, individualiste et non inclusive, fondée sur une croissance économique aveugle, sur la dilapidation des ressources naturelles, l’utilisation à outrance des combustibles fossiles, la subordination des innovations technologiques à une logique commerciale peu soucieuse de l’intégrité des écosystèmes, et sur la survalorisation de la possession de biens matériels au détriment de la qualité de vie.
Le système économique actuel comporte, dans ses fondements mêmes, les mécanismes qui, en plus de créer d’importantes inégalités économiques (16,24-25), sont à l’origine des menaces qui pèsent maintenant sur l’Humanité (4,14,21,26-29). Il doit par conséquent être réformé.
Les innovations technologiques n’ont eu qu’un effet marginal dans la réduction de l’empreinte environnementale mondiale, contribuant plutôt à alimenter la croissance économique. Bien que la science et la technologie puissent avoir un apport positif, celui-ci ne sera significatif qu’à travers une transformation en profondeur du mode actuel de production industrielle et de consommation.
Rendre les sociétés modernes compatibles avec les limites de la nature nécessite de repenser le système économique, revoir nos modes de vie et nos valeurs, et réformer la gouvernance aux niveaux municipal, provincial et fédéral. La « transition écologique » nécessite une vision à long terme pour réorganiser la consommation, la production industrielle, l’agriculture, l’élevage, l’aménagement du territoire, l’urbanisation et le transport. La place des sciences humaines dans ces solutions est tout aussi importante que celle de la technologie.
Des pistes de solutions existent. Elles visent à préserver la nature en s’assurant que les niveaux de production et de consommation matérielle et énergétique soient soutenables. Nous devons en particulier utiliser les résidus comme source de matière première en favorisant l’économie circulaire. Sinon, le recours à l’extraction de ressources non renouvelables et la dégradation des écosystèmes se poursuivront avec des conséquences toujours plus graves et irréversibles. Dans le même temps, alors que les effets de la détérioration de l’environnement et des changements climatiques ont déjà des répercussions sur la santé et le bien-être humain, il est nécessaire de renforcer les mesures d’adaptation permettant de protéger les populations.
Afin de favoriser un système économique bienveillant pour l’être humain et l’environnement, nous pensons que les principes ci-après devraient être observés :
- remettre l’être humain et son bien-être au cœur des préoccupations;
- prioriser le bien commun, la collectivité et l’inclusion sociale, par exemple dans le domaine du transport. L’auto solo à grande échelle et l’explosion du nombre de voyages en avion ne sont pas compatibles avec des sociétés soutenables;
- supprimer les subventions aux combustibles fossiles et favoriser les énergies renouvelables ainsi que les loisirs et le tourisme durables;
- intégrer le coût réel de la dégradation de l’environnement dans le prix des biens et services et généraliser le principe de pollueur-payeur;
- stopper l’étalement urbain et favoriser la densification intelligente des villes;
- réformer le système agricole pour une agriculture locale et biologique qui favorise la biodiversité, capte du carbone plutôt que d’en émettre, et favorise les circuits courts (agroforesterie, permaculture).
Ces principes ne sont pas toujours compris, et leur mise en pratique demeure très insuffisante en regard des enjeux environnementaux. L’inaction est notamment liée à un manque d’éducation sur les enjeux environnementaux, à un système économique difficile à ajuster, à la pression de certains lobbies, et à une récupération des enjeux environnementaux à des fins idéologiques. L’inertie résulte aussi d’une gouvernance inadaptée. Les décideurs, qui manquent d’informations et parfois de courage politique, sont prisonniers des échéances électorales, et ne se sentent pas assez poussés par la population. Les citoyens manquent parfois d’informations, ne sont pas assez conscientisés et se heurtent surtout à des contraintes structurelles dans leur volonté d’agir de manière écoresponsable, telles que le manque de transports collectifs, l’éloignement de leur domicile, l’offre de biens durables, locaux et biologiques, et la facilité d’obtenir des biens et services provenant de sources non durables.
Ce sont les habitants des pays riches comme le Canada qui émettent le plus de GES et qui utilisent le plus de ressources par personne. Ce sont aussi de grands importateurs qui ont délocalisé les coûts écologiques de la production dans les pays en développement. À l’opposé, les pays les plus pauvres ont l’empreinte la plus faible per capita et subissent le plus les conséquences des changements climatiques. Afin de limiter cet impact, il incombe aux pays développés de réduire de façon majeure leur empreinte écologique pour favoriser une plus grande justice environnementale et permettre aux pays pauvres d’atteindre un niveau de vie acceptable. Il est essentiel que ceux qui ont le plus pollué et profité de la surexploitation des ressources naturelles montrent qu’il est possible d’assurer une bonne qualité de vie tout en respectant les limites de l’environnement.
Le Regroupement Des Universitaires souhaite ardemment poser sa pierre à l’édifice de la transition écologique.
Bibliographie
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Rédacteurs de la Déclaration :
- Olivier Boiral
- Alexandre Bureau
- Daniel Desroches
- Laurence Guillaumie
- Thierry Lefèvre
- Patrick Provost
- Cyril Schneider