Les universités doivent refuser le financement offert par GNL Québec

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5 février 2020

Lettre ouverte*

Le 20 novembre dernier, la société GNL Québec a annoncé un investissement de 350 000 $ sur cinq ans dans un projet de Chaire interuniversitaire sur la séquestration du carbone. Rappelons que GNL Québec est le promoteur d’un projet d’usine de liquéfaction du gaz naturel à Port Saguenay. Ce projet nécessite la construction d’un gazoduc de 750 km pour acheminer jusqu’à Port Saguenay du gaz naturel en provenance de l’Alberta.

La chaire interuniversitaire regrouperait des chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi, de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, de l’École de technologie supérieure et de l’Université Laval. Toutefois, ces institutions n’ont fait aucune annonce pour l’instant. Or, il nous semble imprudent et prématuré d’accepter un investissement de GNL Québec pour financer la recherche universitaire.

Un risque réputationnel

Avant de se lier à une entreprise privée intéressée à contribuer financièrement à une chaire ou à un programme de recherche, l’université devrait évaluer sérieusement le risque réputationnel, pour elle-même et pour ses chercheurs, d’un tel partenariat. L’entreprise a-t-elle fait l’objet de poursuites judiciaires? Est-elle un « bon citoyen corporatif » respectueux des lois, de ses employés et de l’environnement? Est-elle bien implantée dans son milieu?

Pour l’instant, GNL Québec est, essentiellement, un promoteur en attente d’autorisations pour construire une usine. Il est beaucoup plus difficile d’évaluer le risque réputationnel d’une entreprise en devenir que d’une entreprise déjà établie.

Cela dit, plusieurs éléments incitent à la prudence. Une lettre publiée le 15 octobre dernier dans La Presse par une quarantaine d’économistes a mis en doute le bien-fondé du projet de GNL Québec et la véracité des informations fournies par l’entreprise concernant les risques et bénéfices environnementaux. En outre, une fiche technique de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) montre que la structure du groupe de sociétés auquel appartient GNL Québec réduit sensiblement les retombées fiscales éventuelles de ses activités au Québec et au Canada. Selon l’IRIS, GNL Québec est une société par actions détenue par une société en commandite dont les commanditaires sont des sociétés détenues par d’autres sociétés appartenant à des investisseurs étrangers dont les revenus éventuels seraient touchés dans des paradis fiscaux.

Enfin, une lettre courageuse publiée par des membres de l’Université du Québec à Chicoutimi affirme que le projet de GNL Québec n’est pas dans l’intérêt du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Cette région riche en talent et en atouts naturels – dont l’hydroélectricité – deviendrait dépendante d’une énergie fossile.

Un risque pour la liberté universitaire et la collégialité

Le financement privé de la recherche soulève des débats parmi les universitaires qui, le plus souvent, restent entre nous. Parmi les préoccupations exprimées, il y a les risques de conflit d’intérêt et d’autocensure. Que ce soit par sentiment de reconnaissance ou par intérêt, les chercheurs hésitent à critiquer leurs bailleurs de fonds et à diffuser des résultats qui leur seraient défavorables. Dans une moindre mesure, l’autocensure affecte aussi leurs collègues. Ainsi, on peut supposer que plusieurs membres des quatre institutions impliquées dans le projet de chaire interuniversitaire ne se sentiront plus la même liberté de commenter le projet ou les agissements de GNL Québec. Nous-mêmes ressentons cette pression en écrivant ces lignes.

La décision d’une université d’accepter le financement d’une entreprise participant à un projet très controversé cause fréquemment des désaccords en son sein. Les universitaires aiment débattre d’idées et il est normal qu’ils ne partagent pas les mêmes points de vue. Ainsi, certains d’entre eux trouvent des points positifs au projet de GNL Québec. Cependant, lorsqu’il est question du financement privé de la recherche, les discussions sont rarement sereines, car la carrière de certains chercheurs peut s’en trouver affectée. Elles peuvent miner le climat de travail dans un département ou une faculté pendant des années.

La situation actuelle nous rappelle celle vécue en 2014 à l’Université du Québec à Rimouski. La pétrolière TransCanada, qui cherchait à faire accepter son projet d’oléoduc Énergie Est, a offert de financer une chaire de recherche sur le béluga. En raison d’une forte opposition, l’université a finalement refusé l’offre de TransCanada.

L’absence de bénéfices autres que financiers

En sciences pures et appliquées, par l’entremise des organismes subventionnaires tels que le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le gouvernement encourage fortement la recherche en partenariat avec l’industrie. Les entreprises partenaires profitent d’une expertise de pointe leur permettant d’innover et de devenir plus compétitives. Les chercheurs bénéficient d’un financement parfois très substantiel, peuvent avoir accès au savoir-faire ou aux installations des entreprises partenaires, et sont généralement encouragés à réaliser des travaux utiles et en lien avec des enjeux d’actualité. De plus, les étudiants sont formés à la recherche tout en ayant déjà un pied dans l’industrie. Une évaluation du programme de chaires industrielles du CRSNG réalisée en 2006 met en valeur les bénéfices qu’en retirent les entreprises partenaires : elles orientent les recherches en fonction de leurs besoins spécifiques; elles entretiennent des échanges soutenus avec les chercheurs; elles obtiennent un accès privilégié, voire exclusif aux résultats de recherche.

Dans le modèle mis en place par le CRSNG, le partenaire n’est pas qu’un bailleur de fonds : il participe activement à la recherche. Le CRSNG s’assure notamment de la présence importante de l’entreprise partenaire au Canada et de sa capacité à produire et à mettre à profit les résultats de la recherche. Cependant, puisqu’une collaboration étroite avec l’industrie est nécessaire pour réaliser ce type de recherche, on tend à mettre en veilleuse deux principes importants : l’indépendance de la recherche universitaire et l’accès pour tous aux résultats de la recherche produite en partie avec des fonds publics.

Même si l’on accepte le bien-fondé de ce modèle, GNL Québec ne nous semble pas être un partenaire pertinent pour un programme de recherche industrielle sur la captation du carbone ou sur la production de gaz naturel à partir de la biomasse forestière résiduelle. D’une part, cette entreprise n’entend pas se spécialiser dans la production de gaz naturel mais plutôt dans sa liquéfaction en vue de l’exporter sur les marchés internationaux. D’autre part, elle ne semble pas être en mesure de collaborer à des recherches, ni d’en tirer une quelconque utilité, au cours des cinq prochaines années.

Pourquoi donc cette annonce hâtive d’un investissement de GNL Québec dans un projet interuniversitaire de chaire industrielle? À l’instar de la pétrolière TransCanada, elle espère sans doute améliorer sa légitimité sociale et ses chances d’obtenir le feu vert pour son projet d’usine. En prêtant leur concours à ce type de stratégie, les universités risquent malheureusement d’être entraînées malgré elles dans des opérations d’écoblanchiment (greenwashing) attentatoires à leur rôle social et à leur indépendance dans la création et la transmission du savoir.

*Signataires :

Olivier Boiral, professeur à la faculté des sciences de l’administration, Université Laval

Michelle Cumyn, professeure à la faculté de droit, Université Laval

Mathieu Cusson, professeur au département des sciences fondamentales, Université du Québec à Chicoutimi

Sophie Del Fa, professeure en communication, Université du Québec à Chicoutimi

Jacinthe Dion, professeure au département des sciences de la santé, Université du Québec à Chicoutimi

Élise Duchesne, professeure à l’unité d’enseignement en physiothérapie, Université du Québec à Chicoutimi

Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles, Université du Québec en Outaouais

Muriel Gomez-Perez, professeure au département de sciences historiques, Université Laval

Laurence Guillaumie, professeure à la faculté des sciences infirmières, Université Laval

Thierry Lefèvre, coordonnateur du Centre de recherche sur les matériaux avancés, Université Laval

Greg Mikkelson, anciennement professeur au School of Environment and Department of Philosophy, Université McGill

Éric Pineault, professeur au département de sociologie, Université du Québec à Montréal

Patrick Provost, professeur à la faculté de médecine, Université Laval

Olivier Riffon, professeur au département de sciences fondamentales, Université du Québec à Chicoutimi

Michel Roche, professeur au département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi

Marie Saint-Arnaud, chercheuse au Centre’ERE, Université du Québec à Montréal

Lucie Sauvé, professeure au département de didactique, Université du Québec à Montréal

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